
Vous avez certainement déjà entendu quelques personnes vous dire « On ne nourrira pas la planète avec du bio ». Ce genre de phrase, en plus de n’avoir aucun fondement, est en réalité la conséquence d’un travail abouti des lobbys agro-alimentaires qui continuent de nous faire croire que seules leurs méthodes de production sont sérieuses et permettent d’arriver à des rendements satisfaisant…
Et bien figurez-vous que c’est la même chose dans le milieu forestier. Pendant longtemps, on a dit de la forêt française qu’elle était sous-exploitée, mal entretenue, peu valorisée. Ces dernières années, et avec le développement des théories sur le changement climatique, le regard sur la forêt a un peu changé. Dans ce contexte, ses vertus sont nombreuses :
– Elle stocke le carbone et permet de lutter contre l’augmentation du CO2 dans l’atmosphère
– Elle constitue une alternative aux matériaux non durables de la construction, ce qui est intéressant dans une logique de raréfaction de certaines ressources et notamment du sable pour la fabrication du béton.
– Elle est une énergie valorisable sous différentes formes : bois-bûche, copeaux, plaquette, etc.
Bien évidemment, les grands industriels, et notamment du secteur énergétique, se sont empressés d’en vanter les vertus et de développer de nouveaux types de projet. Sauf que comme d’habitude, la volonté de profit est plus forte que le reste. Et plutôt que de penser la ressource et son exploitation de manière raisonnable et durable, on imagine les choses en grand. Les unités de production d’énergie à partir de bois nécessitent pour fonctionner d’avaler des tonnes et des tonnes de bois. Ce que la forêt française, importante en surface mais peu entretenue et valorisée dans son ensemble, ne pourra pas absorber. On ira donc rapidement chercher du bois en Scandinavie ou ailleurs afin de remplir nos usines à produire de l’énergie. Peu à peu, et là encore les similitudes avec l’agriculture sont importantes, la filière-bois s’organise pour répondre à ces besoins industriels. Et là ou l’agriculture a fait sa « révolution verte » (sic) – comprendre fertilisants et pesticides pour les dégâts que l’on sait – la forêt rentre désormais dans une logique de production industrielle.
Avec cette logique, c’est la notion même de forêt qui disparaît, au profit du terme plus judicieux de « plantation ». La plupart de celles-ci datent des années 60. A cette époque, l’État encourage à planter des hectares de bois principalement pour l’usage de la construction. Certaines régions, notamment l’Auvergne et le Limousin (cf « Le Canada français » cher à Jacques Chirac), sont ainsi massivement plantés. Cinquante ans plus tard, la plupart de ces plantations sont arrivées à maturité. Et c’est là que la catastrophe intervient : la coupe rase. La coupe rase consiste à abattre l’ensemble des arbres d’une parcelle. S’ensuit généralement un dessouchage et la création d’andains (amoncellement de branchages et de souches), puis généralement la replantation avec la même essence en monoculture. Certains de nos grands experts forestiers ont généralement le même discours avec la coupe rase que le président de la FNSEA avec l’agriculture intensive : c’est efficace, ça produit beaucoup, le travail peut se faire mécaniquement, ce qui nous permet de travailler de très grandes surfaces avec le moins d’être humains possible et d’être super rentables. Je ne sais pas si vous avez déjà vu une abatteuse dans une plantation… attention, ça décoiffe ! Et puis surtout, vous êtes bien mignons avec vos techniques alternatives mais ce n’est pas ça qui suffira pour atteindre la production attendue… Ah le progrès, c’est fascinant !
Et pourtant, la coupe rase est une méthode de gestion profondément destructrice. D’une part pour l’environnement en massacrant en quelques heures tout un écosystème qui a parfois mis des centaines d’années à se mettre en place, mais aussi en appauvrissant les sols qui n’absorbent plus l’eau via le système racinaire et qui a souvent tendance à devenir plus aride sous l’effet du vent et du ravinement des eaux. D’autre part sur le paysage, avec un traumatisme pour de nombreux habitants de nos territoires ruraux qui voient disparaître en quelques heures plusieurs hectares de forêts auxquels ils étaient attachés. Mais le pire, c’est que la coupe rase est un non-sens d’un point de vue économique.
Sur une échelle de temps de 80 ans, la futaie irrégulière produira davantage de bois qu’une futaie régulière destinée à la coupe rase, le tout en gardant un aspect et un milieu forestier. On sait également qu’après la coupe rase, le sol est moins fertile et le terrain plus propice aux maladies. Alors que fait-on ? On traite, on apporte de l’engrais (pas bio naturellement). Et plus le sol est pauvre, plus on apporte de l’engrais, etc, etc. Mais face à ce constat plutôt critique que faire ?
Retrouver la forêt
La forêt c’est une ressource – le bois – mais pas que. La forêt, c’est un milieu naturel où se côtoient des milliers d’espèces. La forêt, c’est aussi des odeurs, des sensations, une énergie que l’on ne trouve pas ailleurs. Et pour nous les hommes, il est même possible de profiter de ses bienfaits tout en l’exploitant de manière douce et durable. Il existe une technique de gestion forestière tout à fait durable : la forêt jardinée. La forêt jardinée part du principe que toutes les essences forestières sont intéressantes tant du point de vue de la ressource que de ses qualités en termes de biodiversité. Une forêt jardinée, c’est ainsi une forêt irrégulière ou toutes les classes de diamètre sont représentées. Pour la gérer, on prélève périodiquement l’accroissement de manière à conserver un volume de bois sur pied constant et à conserver une structure d’âge équilibrée (voir schéma ci-dessus). Bien plus subtile que la coupe rase, la forêt jardinée fait appel à des compétences différentes. Là où la coupe rase fait la part belle à la machine, la forêt jardinée demande une connaissance fine des arbres. Si l’expert forestier reste souvent le décideur et celui qui procède au martelage* des arbres, le rôle du bucheron devient bien plus important. La forte hiérarchie instaurée depuis la création du corps des eaux et forêts (XIIIème siècle) entre l’ingénieur et le technicien s’estompe. Le bucheron doit effectuer ses coupes de manière très précise pour ne pas abîmer les autres arbres. Il doit avoir suffisamment de connaissances et de sensibilité pour remettre en question un martelage qu’il ne juge pas bon. Là où l’un donnait des ordres à l’autre, aujourd’hui les deux se parlent. Plutôt que le tracteur, on préfèrera l’utilisation du cheval pour le débardage ce qui a également pour avantage de moins tasser le sol et donc de moins dégrader l’environnement forestier.
Il existe donc d’autres façons de gérer sa forêt, plus propre et plus respectueuse de l’environnement. C’est à chaque propriétaire, chaque gestionnaire forestier, chaque bucheron, de prendre conscience de ce problème et d’agir dessus. La forêt est un bien commun à tous qui remplit des fonctions essentiels pour la terre et ses hommes, à nous de la protéger.
Futaie régulière* : Une futaie est dite régulière si, à l’échelle de la parcelle, tous les arbres des essences principales sont d’âge proche. Les arbres des peuplements équiens peuvent être issus de plantation, ou de régénération naturelle. Ils sont souvent de la même essence (dans ce cas, le peuplement est qualifié de « monospécifique »), mais pas toujours.
Futaie irrégulière* : La futaie irrégulière fait cohabiter sur une même parcelle des arbres d’âge et de dimension très variés. Elle peut être conduite pied à pied (on parle de futaie jardinée), par bouquets ou les 2 à la fois. Ce traitement s’appuie préférentiellement sur le renouvellement des arbres par voie naturelle.
Martelage* : Fait de marquer un arbre pour procéder ensuite à son abattage.
Pour aller plus loin :
Associations
Pro Silva France : association de forestiers réunis pour promouvoir une gestion des forêts (sylviculture) dite « irrégulière, continue et proche de la nature ». http://www.prosilva.fr/html/
Réseau des Alternatives Forestières : association qui réunit propriétaires, experts forestiers, bucherons, scieurs, débardeurs, etc. et qui promeut une autre gestion des forêts, plus douce et plus durable. http://www.alternativesforestieres.org/
Films
PEFC, le label qui cache la forêt – Qu’y a-t-il derrière ce label mondial créé par l’industrie du bois ? De quelle gestion durable et de quelle forêt parle-t-on ?
Le cueilleur d’arbres – Lorenzo Pellegrini est bûcheron spécialisé dans le choix et la coupe d’arbres destinés à la lutherie. Agé de 85 ans, il travaille toujours et transmet son savoir à des successeurs dont le luthier de guitares Jean-Michel Capt qui à inventer la table d’harmonie