
Les formations professionnelles sont toujours l’occasion de prendre du recul sur son métier et ses pratiques. Mais certaines formations sont plus percutantes que d’autres et c’est le cas de la formation sur « susciter et mobiliser la participation » organisée par la SCOP Le Contrepied.
Alors qu’au sein de la Fabrique du Lieu, nous essayons de revoir notre positionnement pour répondre, avant tout, aux attentes de la population, cette formation pousse les participants à chercher le sens de ce positionnement.
Pour rappel, la loi encourage officiellement à susciter la participation : celle sur la démocratie de proximité de 2001 visait à accroître l’intérêt des citoyens pour la vie publique.
Pourtant, aujourd’hui, cette proximité est loin d’être flagrante. D’abord, la conséquence perverse de l’imposition (impôts et taxes) a mis beaucoup de citoyens dans un rapport de client vis à vis de l’Etat. L’impôt est vu comme le paiement de services rendus et les citoyens se mettent donc de plus en plus dans une posture de consommateurs. L’écart se creuse entre le monde administratif et politique et ceux qui subissent leurs décisions ; les habitants. De nombreuses conséquences en découlent et se manifestent de différentes manières (présence aux urnes, investissement citoyen, candidature aux élections locales, vision de la fonction publique et de la politique en général…).
Face à cela et en s’appuyant sur cette loi, la stratégie du dialogue vise à développer la compréhension des différents points de vue pour tendre vers des prises de décisions qui soient dans l’intérêt du plus grand nombre ou tout au moins permettre de comprendre que les décisions ne peuvent pas répondre aux besoins spécifiques à chacun. Mais au-delà de la simple compréhension qui facilite l’acceptation et qui soulage des décisions qui auraient pu provoquer refus ou ralentissement, il s’agit de rendre les citoyens responsables de leur devenir. S’ils ne sont considérés que comme des exécutants de lois, de directives, de mesures, de programmes imposés, les objectifs recherchés ne seront que difficilement atteints. Au contraire, si les habitants sont à l’origine et actifs au sein d’une démarche, ils seront porteurs, représentants, défenseurs, producteurs… de celle-ci.
Le système actuel favorise pourtant toujours cette posture de consommateurs et infantilise les citoyens. Or, la facilité d’accès à toutes sortes d’informations, démultipliée par le développement d’interne, les rend très conscients et souvent critiques. Ils se forgent un avis qui est souvent vu comme une menace par le monde politique sous couvert de manque de représentativité, de connaissances, d’objectivité… Les habitants constituent une ressource qui est souvent étouffé. Certes la loi défend l’idée de donner aux citoyens une réelle place dans le débat public. Mais sur le terrain, son application est encore marginale ou orientée. Il faut donc systématiquement se battre pour imposer une réelle participation.
En appliquant cette réflexion au paysage, on constate que la aussi la loi va dans le sens de la concertation. La Convention Européenne du Paysage replace « le paysage à la croisée des regards des habitants et des acteurs sociaux, le transformant ainsi en un référent potentiellement partageable et en un support pour penser l’action publique en matière territoriale ou environnementale. Un désir de transversalité et de démocratie, de durabilité et de concertation. », le paysage rejoint le champ du débat public.
Des chercheurs développent ce concept comme David Montembault, « le paysage est triplement concerné par les approches participatives, à la fois comme objet à aménager, soumis aux nouveaux principes du développement durable, comme objet à qualifier, nécessitant de recueillir l’avis des populations, et comme outil de médiation, capable de rassembler les différents acteurs d’un territoire pour une meilleure définition des enjeux d’aménagement. » En effet, il concerne l’environnement au sens large (milieux naturels, agriculture…), le cadre de vie (espace public, routes…) , mais aussi l’économie (circuits courts, gestion forestière…). Et c’est un bien commun qui outrepasse les notions de propriétés et de limites administratives. Chacun peut donc s’y reconnaître et s’y investir. Le paysage n’appartient à personne et ne dépend jamais d’une seule. Il renvoie donc à une notion de bien commun qui est favorable aux démarches collaboratives.
Il est donc judicieux de s’appuyer sur le paysage pour redonner du pouvoir de décisions aux citoyens. C’est que renforcent les propos de Rémi Bercovitz, « l’efficience de telles expériences se mesure moins à la trace qu’elles laissent dans la matérialité des paysages qu’à ce qu’elles produisent dans l’ordre social et culturel, aux solidarités qu’elles stimulent et aux champs de débat et d’initiative qu’elles génèrent, aux liens socio-spatiaux que le paysage permet de faire émerger, dès lors qu’on l’appréhende et l’utilise comme un outil dont dispose les sociétés pour se penser elles-mêmes dans leur environnement ». Le paysage apparaît donc comme un support pertinent pour permettre aux habitants de mettre un pas dans la vie « politique » de son territoire.
Le paysage est donc un bon support pour donner l’opportunité aux habitants de faire parti du débat public. Mais il faut reconnaître que le millefeuille administratif français refroidirait n’importe qui souhaiterait s’investir dans la vie « politique » de son territoire. Le vocabulaire employé, les procédures complexes, la répartition des compétences et des missions, … illustre l’opacité de cet univers. Pour s’immiscer dans ce système, l’habitant lambda a besoin d’un guide qui mette à sa portée les codes institutionnels.
Les métiers de l’aménagement du territoire, dont celui de paysagiste, détiennent ce savoir et peuvent faire l’interface entre les différents univers.
Dans le cadre d’un projet de territoire, le paysagiste établit un diagnostic, des enjeux et des orientations en estimant la faisabilité des solutions proposées. Au travers de ces différentes étapes, il est amené à concerter les décideurs locaux et les spécialistes mais rarement les habitants. Pourtant, alors que ces spécialistes, souvent fonctionnaires de structures publiques ne sont pas libres de paroles et parlent au nom de compétences et missions spécifiques, les habitants sont détachés de toutes censures et de carcans techniques ou politiques. Certes, les élus sont censés être les représentants des habitants. Mais la crise actuelle de la démocratie représentative peut, dans certains cas, nous amener à reconsidérer l’importance de leur légitimité
Le paysagiste est lui même un spécialiste qui pourrait orienter le projet de part sa spécialité là où un animateur plus neutre ne dériverait pas. Cependant, le paysagiste détient les connaissances qui permettront à chacun d’entrer dans les domaines des spécialistes : règlement d’urbanisme, vocabulaire de naturalistes, procédure administrative…
Par ailleurs, que ce soit l’animateur ou le professionnel de l’aménagement, il est souvent recruté par un client dont l’intérêt penche vers les élus. Il s’agit en effet généralement de collectivités qui passent commande et allouent un budget aux études. Il faut donc être vigilants, en tant que maître d’œuvre à savoir garder une certaine indépendance vis-à-vis du client. Pour cela, il est plus facile d’affirmer sa spécialité (exemple : paysagiste) pour imposer légitimement une indépendance dans sa mission.
Enfin, faire intervenir un animateur extérieur au territoire permet d’avoir une posture moins impliquée ce qui favorise d’éventuelles médiations.
Le métier du paysagiste évolue donc du rôle de l’ « expert paysagiste aménageur » à la fois porteur de connaissances et de savoir-faire vers un nouveau statut de médiateur-passeur, chargé de recueillir les multiples connaissances déjà présentes sur un territoire, et d’aider à leur articulation pour construire un projet.
De notre côté à la Fabrique du Lieu, nous ne sommes pas diplômés de sociologie ou « experts du changement ». Il est vrai que plusieurs parcours professionnels aboutissent plus naturellement à former des animateurs du territoire : éducation populaire, sociologie, recherche… Mais peu de cursus combinent techniques d’animation et maîtrise des questions d’aménagement. Peu de cursus forment à l’animation de projets de territoire. Il revient à chacun de compléter sa formation initiale pour glisser soit vers l’animation, soit vers l’aménagement. Il semble que le premier cap à passer pour les professionnels de l’aménagement soit de changer de posture en sachant temporiser ses réflexes de professionnels pour les mettre au profit des habitants afin de les amener à les maîtriser eux-mêmes.
N’étant « que » paysagiste et urbaniste, nous avons dû compléter notre formation initiale et expérimenter nos méthodes.
En effet, de nombreuses formations sont apparues pour comprendre les différents niveaux de la participation, acquérir des outils adaptés aux différents publics, pour analyser et évaluer les résultats. Mais le changement de posture ne s’apprend pas, au contraire, il s’agit de déconstruire ce que les plus grandes écoles nous ont inculqué. L’univers associatif est un bon terrain d’entrainement pour tester ce nouveau positionnement et se familiariser avec des approches moins confortables. Beaucoup de professionnels de l’aménagement s’engagent d’abord au niveau associatif dans des mouvements plus collaboratifs avant de se permettre d’appliquer ces méthodes au sein de leur contexte professionnel.
Pour finir, il semble indispensable de savoir changer de rôles, en passant du concepteur (sachant), au décideur (élu), au citoyen (habitant)… pour comprendre la diversité des points de vue. Pour être cohérent jusqu’au bout, un professionnel de l’aménagement convaincu par la nécessité d’impliquer les habitants devrait être à tour de rôle l’un de ces acteurs et commencer par s’engager dans la vie locale de son territoire.