
Emmanuel Gros a été stagiaire à la Fabrique du lieu pendant trois mois à l’été 2016. Il nous livre ici ses impressions et ses questionnements sur son métier et ses interactions avec les autres professions de l’aménagement.
« Pour toi, existe-t-il des différences entre urbaniste et paysagiste? » Cette question m’a été posée par Nicolas Tinet lors d’un entretien que nous avions eu préalablement au stage que j’ai effectué à La Fabrique du Lieu au cours de l’été 2016. À froid, il m’avait alors été difficile de répondre de manière conséquente à une question qui, inconsciemment, me passait par la tête depuis quelques années maintenant. Paysagistes, urbanistes et architectes font-ils exactement le même métier? Pour des enjeux d’aménagement similaires, qu’est-ce qui explique que ces professions répondent souvent différemment? Et ces divers regards tels qu’ils sont exprimés aujourd’hui sont-ils souhaitables?
Des approches différentes pour des objectifs communs
De façon générale, un certain nombre de principes et intentions sont partagés par ces trois professions. Le sujet d’étude concerne la ville et les territoires dans toutes leurs composantes: l’habitat, les modes de déplacements, les usages, les espaces publics, les infrastructures, l’agriculture, la forêt ou encore les sites industriels entre autres. Dans tout les cas, la notion de « contexte » doit pouvoir justifier les choix du projet. Plus largement, les mobilités douces, d’urbanité, d’écologie urbaine, ou de réemploi des ressources en place sont une partie des grands enjeux qui animent ces différents métiers, et qui les fédèrent.
Il existe cependant quelques subtilités dans l’approche et la méthode de projet. Tout d’abord, je dirais que les paysagistes et les architectes ont pour principal point commun d’avoir une approche de projet qui vise à spatialiser un espace vide ou plein par deux principaux outils que sont le dessin et la maquette. Les urbanistes ont un rapport plus théorique et réglementaire au projet. C’est pour cela qu’ils sont d’avantage aptes à travailler du coté de la collectivité, pour la rédaction de cahiers des charges ou de documents d’urbanisme. Ils ont une approche plus programmatique que les architectes et les paysagistes qui cherchent à donner une forme à ce programme.
Même si le dessin prime en architecture et en paysage, les approches demeurent souvent assez différentes. Les paysagistes font du vivant, du relief, du sol ou encore des hommes les ressources principales à partir desquelles ils vont faire émerger leur projet. Tandis que les architectes, s’intéresseront à ces notions dans un second temps, après avoir réfléchi à l’espace construit. L’approche des paysagistes se veut surement plus « mouvante » et moins « tangible » que celle des architectes.
Des écoles trop peu enclins aux échanges
Finalement, pourquoi paysagistes, architectes et urbanistes sont-ils si renfermés dans leurs démarches? Certaines situations que j’ai pu rencontrer dans le cadre de mes études illustrent cette absence de dialogue entre ces métiers.
En effet, cette question que m’a posé Nicolas réinterroge l’enseignement de ces différents corps de métier. Après avoir effectué mes deux premières années à Versailles, ainsi qu’une année de paysage à l’école de Gembloux, je termine actuellement mon cursus d’études en paysage à l’école de Marseille. Auparavant, c’est par deux années à l’IUT de Gestion urbaine à Aix-en-Provence que l’envie de devenir paysagiste m’est venue.
Avec du recul, j’ai le sentiment que l’entre-soi qu’induisent ces écoles ont pu appauvrir l’apport si « transversal » et « généraliste » qu’elles se plaisent à promouvoir. À l’école du paysage, la quasi-totalité des enseignants sont paysagistes diplômés de l’école de Versailles-Marseille. Et le regard qu’ils portent sur les architectes et les urbanistes est, me semble-t-il, souvent réducteur. Je me souviens notamment de sorties sur des projets réalisés par des architectes, où des enseignants disaient parfois « ah vous voyez cet espace public… encore un travail d’architecte! ».
Autre exemple, à l’école de paysage de Marseille. En janvier 2016, les écoles de paysage et d’architecture organisaient deux semaines de workshop avec pour sujet, le Parc National des Calanques. Elles avaient la vague idée de venir assister à des séances de réflexion et de rendu. Les étudiants de l’école d’architecture ne seront finalement jamais venus si ce n’est seulement deux de leurs encadrants. L’école de paysage s’est elle, déplacée en plus grand nombre (environ 15 étudiants).
Nous percevions alors les approches si opposées des deux écoles. À l’école de paysage, notre culture et formation s’accordaient à dire que la beauté du site des Calanques s’est formée naturellement et détient déjà à la base un caractère exceptionnel. Les projets visaient alors à mener des intentions assez minimalistes comme par exemple, l’aménagement plus francs de points de vues ou encore l’accueil du public dans un site au sol pollué par les scories mais à la végétation unique, en prise direct avec la ville et à la place trop importante accordée à la voiture.
Lorsque nous sommes allés voir les restitutions des étudiants de l’école d’architecture, l’approche était alors totalement opposée. L’idée était ici d’imaginer des architectures complètement utopiques et futuristes le temps d’un workshop d’une semaine. Les images présentées étaient bien loin de ce que nous avions imaginé une semaine plus tôt. Je me souviens notamment de trois barres d’immeubles ouvertes sur le paysage par leurs structures, larges de 45 mètres et longues de presque 1 kilomètre de la mer, jusqu’aux collines. Lorsque le masterplan du projet a été affiché au début du rendu, ce projet était pour moi tellement hors-contexte que j’ai cru qu’il s’agissait de trois traits de coupe un peu larges allant des collines à la mer… À la fin des restitutions, un ami de promo indigné par ces images, m’a même confié: « tu vois dans ces écoles d’archi, ils feraient bien de faire un peu plus de socio et d’écologie que d’autocad et de photoshop! ».
Un des projets de l’école d’architecture imagine qu’en 2030, la crise pétrolière ne permettra plus la délocalisation de l’industrie. Une des idées visait à imaginer de manière extrapolée ce que pourrait devenir ce site dans le cadre d’une industrialisation massive, en tirant partie des ressources existantes: la mer, du calcaire et un site industriel à l’abandon.
Notre approche à l’école du paysage a été, entre autre, de favoriser la colonisation de la plante Phrygane, caractéristique du parc national des Calanques, en perçant à certains endroits l’enrobé et marquant ainsi d’avantage les cheminements face aux fortes influences liées au tourisme.
Un cloisonnement des professions responsable des maux de l’urbanisation actuelle?
Ces divergences entre ces différentes professions constituent certainement l’une des causes à l’urbanisation du zoning et de la consommation d’espace. Ce manque de dialogue et d’ouverture d’esprit laisse ainsi libre-court à l’arrivée d’espaces monofonctionnels et sectorisés où l’usage de la voiture devient la seule solution au déplacement et où la notion de partage et de rencontre ne fonctionne plus. Dans le même temps, les paysages agricoles se banalisent, les sols s’appauvrissent et les terrains s’enfrichent.
Or, architectes, paysagistes et urbanistes s’accordent à dire que la notion de « local » doit d’avantage être prise en compte dans les projets de territoire. Il faut à la fois permettre aux habitants des villes de retrouver les héritages de leurs campagnes qu’ils ont souvent perdus par une consommation infinie de l’espace. Et dans le même temps, redynamiser les territoires ruraux par des formes de lien social que les grandes villes expérimentent de façon intelligente. Cette hybridation des usages et des manières d’habiter la ville doit donc être le résultat d’une cohésion entre architectes, paysagistes et urbanistes qui n’existe pas assez. De façon générale, cette cohésion est d’autant plus importante si l’on ne souhaite pas bafouer l’idée de « contexte », à laquelle ces professions sont également attachées.
Des métiers différents, mais un projet commun
Qu’il s’agisse du rapport au site ou de la méthode de projet, il est donc clair qu’il existe de nettes différences entre paysagistes, urbanistes et architectes. Les clivages sont souvent trop importants et la concurrence encore trop perceptibles dans les débats. Ce qui à terme, tend à gangréner les intentions de projets communes à ces trois métiers. Ils ont chacun des angles d’attaque qui leurs sont propres et qui enrichissent les projets d’aménagement du territoire. Il est certain que ces professions se doivent de les défendre et d’affirmer ces différentes sensibilités. Mais il ne s’agit pas de le faire pour être dans un rapport de confrontation mais bien pour concevoir au mieux ensemble les villes et les territoires. On pourra donc considérer qu’elles tendront vers le même projet lorsqu’elles se rejoindront d’avantage. Il s’agira de mieux accepter les subtilités de chacune dans les projets d’aménagement.
Dans une vision utopique, une seule et même école du territoire pourrait alors être créée et répartie partout en France comme c’est déjà le cas. Un cursus commun pourrait se faire les deux ou trois premières années, avec des cours aussi transversaux que le dessin à main levé et informatique, l’art plastique, la botanique, la pédologie, l’écologie, les sciences humaines (histoire des villes et des territoires, sociologie, géographie, sciences politiques et jeux d’acteurs…), les techniques de construction, de plantation et d’aménagement, entre autres. Et bien sur une discipline forte: le projet, qui durant ces trois premières années viseraient avant tout, à donner des clés et des méthodes aux étudiants. Cela permettrait alors de faire dialoguer davantage des futurs professionnels de l’aménagement pour avoir une pensée commune de la ville et des territoires et ce à toutes les échelles d’intervention. Pour ne pas non plus standardiser cette première entrée en matière, des options tournées vers les trois domaines et un découpage en petits groupes pourrait être privilégié par les étudiants. Les deux ou trois dernières années seraient ensuite dédiées à un champ plus spécifique que serait le paysage, l’urbanisme ou l’architecture. À Marseille, ce mode d’enseignement pourrait bientôt apparaitre avec l’arrivée de l’Institut Méditerranéen de la Ville et des Territoire de Marseille visant à rassembler les écoles de paysage et d’architecture de Marseille et l’institut d’urbanisme d’Aix-en-Provence.
Enfin, je dirais que le projet de requalification de la place de la République à Paris est exemplaire dans la manière dont les architectes de l’agence TVK ont mis a profit le potentiel d’urbanité possible sur ce site. Cette grande agora ouverte laisse libre-court à des usages et des manifestations très diverses dont l’espace public doit avant tout être le support. La simplicité de cette ouverture et les micro-jeux de niveaux présents à différents endroits, est selon moi, une véritable leçon d’aménagement pour l’ensemble des paysagistes, architectes et urbanistes.
Au printemps 2016, le vide de la place de la République était investi par le mouvement Nuit Debout.
Emmanuel GROS