
De quoi parle-t-on ?
On entend très souvent la phrase suivante qui revient à chaque fois comme une alerte pour les citoyens que nous sommes : « Tous les sept ans, l’équivalent de la surface d’un département français est artificialisé ». On peut aussi trouver d’autres chiffres qui parleront plus ou moins :
- Chaque jour, 165 hectares de milieux naturels et agricoles sont détruits
- Cela correspond à environ 6 hectares par heure.
Quand on pense à artificialisation, on pense naturellement à la construction de routes, d’habitations, ou de zones d’activités. Mais rentre également dans l’artificialisation :
- La mise en culture des espaces de prairie ce qui génère une perte en biodiversité importante et une moins bonne infiltration des eaux dans le sol.
- Certains milieux forestiers gérés de façon trop intensive en monoculture, comme les peupleraies par exemple.
- Les délaissés routiers.
- Les équipements sportifs et militaires.
Toutefois, si ces espaces apparaissent également artificialisés, leur réversibilité est plus facile que pour les infrastructures de transport, les habitations ou les zones d’activités.
Les conséquences de cette artificialisation :
- Une perte de biodiversité manifeste.
- Des problèmes d’érosion, de ruissellement, d’inondations, d’augmentation des risques en général.
- La fragmentation des corridors écologiques et donc une atteinte à la survie d’un certain nombre d’espèces qui ont besoin de circuler pour chasser, se nourrir, se reproduire
- Et bien entendu, la diminution des surfaces agricoles disponibles.
Le modèle français en question (un peu d’histoire rapide)
Durant les 30 glorieuses, de manière concomitante au développement urbain, on crée le mythe de la maison individuelle. Avant, les maisons avec du terrain étaient réservées aux zones rurales. Désormais, chacun pourra disposer d’un lopin de terre et d’une maison pas chère en ville (ou à proximité). L’industrialisation des techniques et des matériaux de construction, rendant accessible à de nombreux français l’achat d’un tel bien. C’est dans cette période que vont se développer les milliers d’hectares de zones pavillonnaires que nous connaissons bien. Phénomène auquel on peut ajouter le développement des zones d’activités d’entrée de ville qui vont peu à peu s’imposer à toutes les villes moyennes sur le territoire national. Rappelons que le supermarché est une invention française (et nord-américaine) et un secteur économique (et un lobby) de poids. A cette époque, la consommation de terres agricoles n’est pas considérée comme un problème. En effet, les gains de productivité de l’agriculture d’après-guerre, dus à l’utilisation de la chimie et à la mécanisation principalement, permettent d’augmenter considérablement les rendements, tout en voyant la surface de terres productives réduire. Ainsi, les zones agricoles et naturelles péri-urbaines deviennent des secteurs potentiels de construction. Les agriculteurs et propriétaires bénéficiant par ailleurs des revenus occasionnés par la vente des terres sous la forme de compensation individuelle.
Un enjeu majeur
Cet enjeu de l’artificialisation ne doit toutefois pas être uniquement vu comme un problème uniquement agricole et technique. On nous rabâche constamment la question du réchauffement climatique de façon culpabilisatrice sans que nous puissions avoir de prise réelle sur ce phénomène. Là, il s’agit d’un phénomène concret sur lequel nous pouvons agir à l’échelle nationale, et qui ne dépend pas de nos dirigeants planétaires. Cet enjeu mêle à la fois des considérations économiques, environnementales, sociales et sociétales.
Économiquement, le développement de l’urbanisation tel que nous l’avons vécu coûte cher. Les dépenses liées aux infrastructures de réseaux et de transport liées à cette forme de développement sont imputées au contribuable qui en assure le coût. De même, les externalités négatives des projets liées à la pollution ou encore la réhabilitation des friches des zones d’activités (phénomène de plus en plus important) devra être pris en charge par la puissance publique.
D’un point de vue environnemental, l’artificialisation diminue la biodiversité, constitue des ruptures dans les trames vertes, accentue le ruissellement et l’érosion des sols, limite la capacité d’absorption du carbone… Lutter contre l’artificialisation, c’est vouloir un environnement plus sein, naturel et de qualité pour les habitants que nous sommes. Par ailleurs, l’étalement urbain renforce le besoin en mobilité et donc en transport, principalement individuel, qui participe à l’émission des Gaz à Effet de Serre.
D’un point de vue urbain, social et sociétal, l’artificialisation modifie considérablement la structure urbaine du pays. En effet, on constate ces dernières décennies un phénomène d’abandon des centres bourgs au profit de leurs périphéries, principalement dans les villes moyennes de province. L’habitat traditionnel des centres bourgs, moins adapté aux usages actuels (difficulté de stationnement et de circulation automobile dans les centres anciens, jardins de taille modeste) est de plus en plus vacant et se dégrade, pendant que des maisons individuelles standardisées poussent sous la forme de lotissements ou d’ouvertures isolées de terrains à bâtir. Les conséquences sont désastreuses pour les communes avec des centres qui se meurent (disparition du commerce, dégradation du bâti) ou qui se muséifient pour les villes et villages ayant un intérêt patrimonial. A terme, c’est le paysage français des 36 000 communes et de leur clocher qui est menacé par ces nouvelles formes d’habiter auxquelles s’ajoute le développement des zones d’activités.
Les outils actuels de lutte contre l’artificialisation
Il existe différents leviers qu’ils soient techniques (taxe sur les plus-values), politiques (dispositifs d’aides indirectes à l’agriculture), institutionnelles (SAFER), associatives (Terre de liens) ou règlementaires (PLU, SCoT, ZAP) pour lutter contre ce phénomène d’artificialisation.
Nous allons ici nous concentrer sur deux outils moins connus mais qui jouent (ou pourraient jouer) un rôle important dans la lutte contre l’artificialisation :
- les CDPENAF (Commission Départementale des Espaces Naturels Agricoles et Forestiers) que nous connaissons bien et à laquelle nous participons en tant que représentants des AMAP d’Ile-de-France.
- La compensation agricole collective, outil plus récent, et dont les études seront instruites justement dans les CDPENAF.
Les CDPENAF
Aujourd’hui, ce sont les communes, ou les intercommunalités, qui ont la compétence d’aménagement de leur territoire et qui règlementent le droit des sols, tout en devant être compatibles (à minima prendre en compte) les documents de planification d’échelle supérieure (notamment le SDRIF en Ile-de-France ou les SRADDET en région). La logique de concurrence entre les territoires, corrélée aux besoins croissants en logement, pousse ces derniers à attirer entreprises et nouveaux habitants par tous les moyens en continuant de développer ces modèles d’urbanisation. L’état, conscient du problème, cherche à réguler ce phénomène. La création des Commissions Départementales de Consommation des Espaces Agricoles en 2010, remplacés en 2015 par les Commissions Départementales de Préservation des Espaces Naturels, Agricoles et Forestiers, doit répondre à cet objectif de lutte contre l’artificialisation des sols. Cette commission peut être consultée pour toute question relative à la réduction des surfaces naturelles, forestières et à vocation ou à usage agricole, et sur les moyens de contribuer à la limitation de la consommation de ces espaces. Dans les faits, elle statue principalement sur les documents d’urbanisme et sur les permis de construire dans les zones agricoles, pour les communes ne disposant pas de document d’urbanisme. Plus concrètement, lors de l’analyse d’un PLU qui consomme des terres agricoles, la CDPENAF va regarder quelles sont les volontés de développement de la commune et comment s’incarne cette ambition. Elle va préconiser en priorité la densification dans le tissu urbain existant avec des objectifs de logements par hectares. La commission va également être vigilante à lutter contre le développement du mitage dans les espaces agricoles et naturels en limitant la construction de logements.
Les CDPENAF, composées de représentants des collectivités, d’associations en lien avec l’environnement, la forêt ou la nature, et de représentants du monde agricole (chambre d’agriculture, SAFER, syndicats agricoles…) apparaît ainsi comme un outil intéressant mais dont la force de l’avis restreint considérablement le pouvoir. En effet, cette commission, en dehors de quelques cas spécifiques, ne rend qu’un avis simple et non conforme limitant de fait sa capacité d’actions. L’autre limite étant que certains projets, dès lors qu’ils sont déclarés d’intérêt national ou qu’ils obéissent à des injonctions supérieures, passent au-delà de cette commission et de son esprit. Un des exemples locaux les plus emblématique étant le projet du Plateau de Saclay. Dans le cadre de cette Opération d’Intérêt National, plus de 400 hectares de terres agricoles, parmi les plus fertiles du pays, sont ou vont être artificialisés. Dernièrement, la candidature pour l’exposition Universelle de 2025 prévoit encore l’artificialisation de plus de 110 hectares supplémentaires.
Aujourd’hui, de nombreuses associations souhaiteraient que l’état renforce le rôle des CDPENAF avec un avis qui ne serait plus « simple » mais « conforme ». D’autres acteurs y sont opposés, en argumentant sur la question de la légitimité de cette commission qui n’est pas composée de membres élus, face à celle des maires et des élus du territoire.
La compensation agricole collective
Le Ministère de la Transition écologique et solidaire défend, dans le cadre de ses politiques publiques le principe suivant. Tout projet qui impacte des zones naturelles, agricoles ou forestières doit appliquer le triptyque: « Eviter, réduire et compenser ». Si les mesures d’évitement et de réduction ne sont pas suffisantes, alors des mesures de compensation sont prévues.
Depuis le décret du 31 Août 2016, relatif à l’étude préalable et aux mesures de compensation, a été créé le dispositif de « compensation agricole collectif ». Pour faire simple, jusqu’ici lorsqu’un projet impactait des terres agricoles, seul l’agriculteur impacté recevait une compensation individuelle. Avec ce nouveau décret, le porteur de projet, qu’il soit public ou privé, doit proposer des mesures de compensation sur l’ensemble de la filière touchée par le projet. Ces mesures de compensation devront forcément bénéficier à plus d’une exploitation, et pourront être de deux types :
- Des compensations foncières collectives qui visent la reconstitution du potentiel de production : réhabilitation de friches, échanges parcellaires, chemins agricoles, aménagement foncier…
- Le financement de projets collectifs avec la mise en place d’un projet ou d’une politique locale de développement : installation d’équipements agricoles structurants, circuits courts, appui technique ou juridique, financement d’études…
Ce principe de compensation collective a fait l’objet d’une négociation entre l’état et ses partenaires sur le sujet. Le monde associatif et agricole en sort globalement satisfait, moins les acteurs économiques, qui estiment que cette nouvelle mesure va créer des freins au bon développement de l’économie du pays. Si cette nouvelle mesure est imparfaite, elle va toutefois dans le bon sens et tend à rééquilibrer un peu les arbitrages en faveur de l’agriculture, secteur qui souffre terriblement d’être le parent pauvre des politiques publiques depuis trop longtemps.
A noter que les CDPENAF seront saisis par le préfet pour rendre un avis motivé sur les mesures de compensation agricole collectives.
Conclusion
Les planètes semblent aujourd’hui s’aligner pour que la puissance publique puisse davantage réguler ce phénomène d’artificialisation des sols. La lutte contre le dérèglement climatique érigée en dogmepar nos politiques (« Make our planet great again ») engage la responsabilité de ces derniers à agir là où les politiques de leurs prédécesseurs encourageaient le phénomène. Les nouveaux outils s’inscrivent dans ce cadre et devront faire la preuve de leur efficacité dans les années à venir. Mais au-delà de ces outils, il est important de faire de la lutte contre l’artificialisation des sols une question politique. L’exemple actuel de Notre Dame des Landes pourrait constituer un premier exemple d’une meilleure considération des espaces naturels et agricoles. On pourrait attendre et commenter tous les rapports techniques possibles et inimaginables, il s’agit en réalité d’un choix politique. Souhaitons-nous poursuivre la fuite en avant vers un développement non durable ? Ou l’environnement et l’agriculture deviennent-ils de nouvelles variables à prendre en considération au même niveau que l’économie et « le développement » ? A suivre…