
Bonjour à tous,
Je me présente à vous, je suis Éliot Canstin, je travaille dans le champ de l’aménagement du territoire et je viens du futur. Si si vous avez bien entendu. En rentrant chez moi, je suis tombé dans une faille spatio-temporelle qui m’a transporté directement ici, au CAUE des Yvelines en 2019. Alors quand Elisabeth m’a proposé de venir raconter mon métier, je me suis dit que c’était l’occasion de venir discuter avec vous.
Mon métier a radicalement changé au milieu des années 2020.
Jusque là, on continuait comme on nous avait appris à l’école. Un urbaniste, ça urbanise, une paysagiste, ça paysage, quant à l’architecte, ba il construit. Quand j’étais à l’école au début des années 2000, sur les grandes cartes des projets qu’on nous présentait, les zones agricoles étaient en blanc. Autrement dit, elles n’étaient rien. Ou plutôt si, elles étaient des futurs zones à construire. A cette époque, un urbaniste ou un paysagiste, on le jugeait dans sa capacité à aménager, à construire. Il était payé en pourcentage d’honoraire du montant des travaux de l’opération à réaliser. Vous imaginez ? Je sais, ça paraît fou aujourd’hui. Plus il imaginait des travaux couteux, plus il consommait de matériaux, plus il installait de mobilier, etc. plus il gagnait d’argent. Avec cette façon de faire, même si vous vous retrouviez à travailler dans une petite commune rurale qui n’avait pas besoin de grand chose à part d’un petit rafraîchissement, vous vous retrouviez à refaire les bordures, à remodeler la chaussée, à installer du mobilier en veux-tu en voilà. Bref, je m’arrête là, vous avez compris le propos.
Notre métier avait perdu son sens. Le sens de la terre, des usages, du territoire. Celui qui a guidé les plus beaux paysages à travers les siècles. Vous savez, ceux qui se sont construits à l’époque où les urbanistes, les paysagistes et autres écologues n’existaient pas. Allez demander aux cultivateurs de riz ou quel est le paysagiste génial qui a aménage les rizières, vous verrez ce qu’ils vous répondront ? Bref, une époque où on respectait la nature, où l’on construisait sa maison avec les matériaux qu’on trouvait sur place, où on s’installait proche de l’eau ou autour des terres fertiles. Une époque qu’il ne s’agit pas forcément d’idéaliser – oui quand on avait mal aux dents, c’était pas facile la vie – mais qui avait le mérite d’être plus connectée au monde et à son environnement. D’ailleurs, un tout petit peu de sémantique, en 2040, on n’utilise plus le mot environnement – ce qui nous environne mais dont on ne fait pas partie – mais plutôt de milieu ambiant – celui dans lequel on vit et qui nous concerne.
Alors, pour en revenir aux années 2020, c’est là qu’on a vu un renouveau opérer. La catastrophe écologique est devenue palpable : la diminution des abeilles, l’envahissement des plantes invasives, la pollution record des milieux, la chute de la biodiversité, la raréfaction des ressources sont devenues tangibles. Et malgré toute leur bonne volonté, toutes les avancées scientifiques n’arrivent pas à corriger le tir. A cette époque, l’anthropocène est réellement menacé.
C’est là que nous les gens qui participent à l’aménagement, on a changé. Je vais rapidement essayer de vous décliner ce qu’on est devenu.
Les urbanistes, ils ont arrêté de croire qu’ils n’étaient bons et légitimes que s’ils aménageaient et qu’ils développaient les villes. Ils ont changé de nom, ils sont devenus des rurbanistes. Et oui. Moi, à l’époque, quand je travaillais dans un bled de 200 habitants, j’avais du mal à me dire que j’étais urbaniste… Car entre temps, la France a vu se développer un exode urbain et les campagnes se sont repeuplées sous l’effet du développement de l’agro-écologie, plus gourmande en main d’oeuvre qu’en pétrole. Requalification des bourgs anciens, remise en oeuvre du commerce, recréation d’activités en tout genre ont besoin d’être accompagnés. Et là, on a eu besoin de beaucoup de rurbanistes.
Les paysagistes, ils sont redescendus sur terre et se sont rapprochés du vivant. Ils ont remis la main à la patte et sont redevenus des jardiniers. Finis les espèces et les matériaux exotiques, on fait avec ce qu’on trouve sur place ! Ils s’intéressent davantage aux usages, à la perception des lieux, et ils ont développé une super compétence : l’animation ou la participation, comme vous voulez. Ils se sont intéressés davantage à comment vivent les gens et comment les accompagner dans leurs projets.
Les architectes, ils ont revu complètement leur manière de faire avec la fin de l’âge d’or des matériaux industriels. La fin du béton, actée en 2035 – oui plus aucune plage dans le monde – , a radicalement changé leur manière de faire. Ils sont revenus aux matériaux locaux, à l’inscription de leur bâtiment dans un contexte et un environnement local spécifique. A une sorte de génie climatique dont ils ont toute la légitimité pour s’occuper. La réhabilitation de l’ancien est devenu le marché le plus important, au détriment de celui de la construction neuve. Et eux-aussi, ils se sont mis à travailler bien plus avec les gens qui vont utiliser ou habiter leurs bâtiments.
Et enfin les écologues. Eux leur métier a aussi profondément changé. Ils font principalement de l’éducation et en particulier pour les trois métiers dont on a parlé précédemment. Ils leurs apprennent à analyser un environnement, à s’inscrire dedans, à le prélever plutôt qu’à le détruire. L’écologie est devenue transversale, elle a percolé dans tous les métiers. Ce n’est plus comme cette aberration des années 2000 où l’environnement était une discipline spécifique qui arrivait après toutes les autres.
Pour conclure, j’espère que je ne vous ai pas trop froissé en vous disant tout ça. Vous verrez que ce changement a été hyper enthousiasmant pour moi, j’espère qu’il le sera pour vous. Je suis convaincu que vous en êtes déjà conscients et que vous avez toutes les ressources en vous pour vous préparer à ce changement. Vous êtes déjà probablement dedans. En tout cas, moi, si ça ne vous dérange pas, je retourne en 2040, il y fait plus frais. Bonne soirée