
La ferme du Bec-Hellouin
Dernièrement, nous étions en visite à la ferme du Bec Hellouin. La ferme du Bec Hellouin, c’est une ferme maraîchère créée en 2003 et située dans le département de l’Eure. C’est une sorte d’oasis, perdu dans les terres normandes. Le site principal est relativement petit (1,2 hectares) mais semble beaucoup plus vaste. Chaque centimètre carré de cet espace semble dédié à la production de fruits et de légumes. On y trouve de tout : choux, carottes, radis, courges, melons, pommes, poires, abricots, pêches, etc etc (l’inventaire serait trop long…). En plus de cet aspect productif, le site est beau dans ses différents lieux : le jardin Mandala tout en rondeur, la forêt-jardin et ses différentes strates productives, l’île jardin entourée… d’eau. Le Bec Hellouin, c’est un peu le jardin d’Eden mais sans serpent… Une véritable harmonie se dégage du site comme si l’homme tirait le meilleur de cet espace, et que la nature s’y exprimait pour révéler toute sa beauté.
Dès le départ de la visite, Charles, le propriétaire des lieux, nous présente le projet et ses principes. Au bout de quelques secondes, le mot est lâché ; « permaculture ». La permaculture est un concept aux multiples déclinaisons mais si on devait définir le mot simplement, voilà ce que Charles nous suggère : « La permaculture, c’est prendre la nature comme modèle et chercher à l’imiter. ». Alors là, on cherche, on se dit prendre la nature comme modèle, ça fait bien longtemps qu’on a du mal à savoir comment on fait. Plusieurs siècles de rationnalisme et de modernité nous ont justement peu à peu appris à nous séparer de la nature, à la dominer, à l’aménager à tout va en la respectant toujours un peu moins. Alors forcément, « prendre la nature pour modèle », pour un jeune urbain de moins de 30 ans en 2015, c’est pas la chose la plus facile à faire. Mais bon, on va quand même essayer. Alors voilà ce que nous on en comprend de la permaculture. La nature, c’est un tout, ce sont des milliards d’interaction entre des espèces, des énergies. On voit bien la différence entre un champ beauceron et une forêt primaire. Dans le premier, une culture qui s’étend à perte de vue de manière monotone. Dans le second, des hauteurs, des couleurs, des bruits d’animaux. Dans le premier cas, une impression de vide, de nudité. Dans le second une impression de densité, d’abondance.
Dans la permaculture, tout interagit, le tout est plus que la somme des parties dans le sens ou chaque élément agit en interaction avec les autres éléments du système et que le résultat de cette interaction est plus fort que le résultat de chaque élément pris séparément. Une sorte de solidarité qui assure la pérennité de la nature et la biodiversité dans son sens premier, la grande diversité des espèces.
Nous ne reviendrons pas ici sur la permaculture appliquée au jardin, il existe une littérature abondante sur le sujet, nous n’y apporterions pas grand chose. En revanche, une question nous taraude à l’issue de notre visite, comme appliquer les principes de la permaculture au paysage, ou plus vulgairement comment « permaculturer » le paysage ?
« Permaculturer le paysage » ?
La permaculture est avant tout un concept, soit une représentation générale et abstraite de la réalité d’un objet, d’une situation ou d’un phénomène. A un cadre conceptuel général et abstrait correspond sûrement une concrétisation dans l’espace en gardant les principes de la permaculture que sont le respect des hommes et de la nature, et le partage des ressources. Aujourd’hui l’idée de permaculture est largement répandue et de plus en plus adoptée, le plus souvent associé au jardin dans une pratique d’autosuffisance alimentaire. Mais si la permaculture est un principe elle peut s’appliquer à d’autres systèmes, s’adapter à d’autres conditions et s’étendre à plusieurs échelles.
Pourquoi au paysage ? Les principes de la permaculture peuvent tendre vers une philosophie, vers un art de vivre à l’ensemble d’un territoire. Non pas vu comme un modèle mais plutôt comme un paradigme au sens où ils deviennent une représentation du monde, une manière de voir les choses. Un paradigme avec ses lois que sont celles de la nature et de l’environnement préexistant à l’établissement humain, afin de créer un système complexe dans lequel chaque élément a son rôle à jouer dans le système, et est bénéfique pour celui-ci. Dès lors qu’une représentation du système permacole est possible, ce dernier devient représentable et donc spatialisable. Et si on parle d’espace, alors on peut parler de paysage.
Le paysage est un tout. Il englobe le relief, l’histoire des implantations humaines, la géomorphologie, les écosystèmes, la biogéographie mais aussi le sens du lieu et les perceptions que l’on en a. Le paysage s’appréhende dans l’espace et à travers le temps. Il est la représentation concrète de l’implantation et du développement des hommes dans un espace donné. Son analyse s’organise autour de grandes thématiques aujourd’hui maîtrisées par différents secteurs, pour schématiser, l’urbanisme d’un côté, les « espaces naturels » de l’autre. Des activités qui se traduisent en termes d’occupation du sol en relations plutôt « conflictuelles » : absence de transition d’un espace à un autre, terres conquises ou gagnées sur une autre activité, abandon d’une pratique et enfrichement des parcelles, relations brutales entre deux mondes, (ruraux VS urbains). Bref l’espace de nos villes et de nos paysages ne se fait pas toujours de la manière la plus pacifique qui soit, et ne reflète pas une relation d’équilibre et d’harmonie entre les différentes composantes du système.
« Permaculturer » le paysage, c’est d’abord trouver un équilibre entre les choses, opter pour un système duquel émane une harmonie, une cohérence (du latin cohaereo être attachés ensemble). Une vision systémique dans laquelle tous les éléments seraient pensés pour être efficaces, productifs dans le respect des hommes et de la nature.
Mais concrètement, ça donnerait quoi un paysage « permaculturé » ?
Ce ne seraient plus de grandes monocultures qui occuperaient le territoire mais des productions permacoles de types maraîchères-fruitières.
Ce ne serait pas un lotissement accolé à un champ avec un sol imperméable et une raquette pour faire demi-tour au centre. Ce ne serait pas des constructions dont les matériaux ne disent rien des ressources locales mais un quartier, un village, un ensemble de maisons ou un bourg en relation directe avec les productions, bénéficiant d’une proximité favorable. S’il y a proximité entre lieux de vie et lieux de production, l’échange entre les deux serait plus évident, la connaissance et la transmission serait réinjectée dans nos sociétés. Le fait que la production agricole soit réservée à une partie de la société se reflète sur le territoire dans la manière que l’on a de la conduire: dépensière, énergivore, monospécifique et non soutenable et qui plus est, compréhensible que par la partie de la société éduquée à la comprendre. Or, l’alimentation concerne tout un chacun, puisque c’est notre énergie vitale et qu’elle façonne nos paysages.
Ce serait une architecture qui prendrait en compte les ressources locales pour sa construction, qui ne laisserait pas de trace après sa désinstallation et surtout une architecture qui ne pollue pas. Ce serait une implantation des villages, des bourgs, des maisons qui répondrait au principe permaculturel de logique d’emplacement, judicieux et efficace, sans perte d’espace inutile, bien pensé dans son implantation propre et en relation au reste.
Un paysage « permaculturé » résoudrait de manière intelligente la répartition des espaces entre ville et campagne en favorisant les interrelations, les interfaces et les échanges entre les deux, ils ne seraient pas séparés mais en constante relation. Les espaces publics seraient pensés avec l’établissement des villes et non après afin qu’ils puissent être fonctionnels et participer à la gestion globale de la commune, du hameau, du bourg… Dans le paysage « permaculturé » la gestion de l’espace et du temps seraient pensés ensemble afin qu’avec le temps cet espace devienne de plus en plus fertile, abondant et équilibré. La taille, l’élagage, la fauche, l’entretient de tout ces espaces publics pourraient alimenter le compost de la commune, participer au développement des ressources soutenables, fournir de l’énergie mais aussi de la matière organique pour la commune, le bourg, le groupe.
Un paysage « permaculturé » ne serait plus imperméabilisé. Les circuits courts, le local, les échanges, l’intégration de nos espaces publics dans le dessin de nos bourgs seraient autant d’éléments visant à réduire les surfaces d’enrobé, de béton et d’asphalte que l’on déverse irréversiblement sur nos terres.
Un paysage « permaculturé » ne serait plus un paysage canalisé car nous accueillerions l’eau telle qu’elle est et nous ne chercherions plus à la maîtriser, mais à s’installer intelligemment face à cet élément qui peut-être dévastateur s’il est mal compris.
Un paysage « permaculturé » serait un paysage où la gestion ne porterait plus sur des « espaces verts » mais sur des espaces naturels où la biomasse produite par ces espaces collectifs, publics ou privés pourrait être réutilisée pour l’ensemble de la commune, du bourg ou du groupe en filière bois énergie ou bois d’œuvre. Les « espaces verts » ne seraient plus tondus et retondus mais fauchés avec une gestion différenciée où le jardin en mouvement et le tiers-paysage pourraient prendre leur place (cf. Gilles Clément http://www.gillesclement.com/cat-tierspaysage-tit-le-Tiers-Paysage, http://www.gillesclement.com/cat-mouvement-tit-Le-Jardin-en-Mouvement). Les espaces naturels du paysage « permaculturé » seraient à portée de main car préservés. La densification des cultures grâce à l’efficacité de la permaculture permettrait de laisser se développer beaucoup plus d’espaces naturels non consommés puisque la taille des exploitations permacoles seraient beaucoup plus réduite.
Un paysage « permaculturé » ne serait plus un paysage où l’agriculture dessine les paysages mais où les systèmes de productions régénératifs l’auraient remplacée, des systèmes efficaces, productifs, locaux, soutenables qui ne nourrissent non pas la planète mais le groupe de personnes assigné à un système de production.
Un paysage « permaculturé » ne serait plus un paysage sectionné mais un complexe de diversité et d’échanges entre production alimentaire, qualité des sols, qualité de l’eau, biodiversité, stockage du carbone, abondance et respect de la vie où tout être vivant profite des autres et est bénéfique aux autres.
Un paysage « permaculturé » serait un paysage de forêts-jardinées, de diversité et d’équilibre.
L’équilibre agro-sylvo-pastoral tel que le pratiquait les anciens reposait sur une vision globale de l’équilibre des systèmes et ne spécifiait pas les catégories. Un des enseignements que la permaculture apporte est que la connexion entre les éléments est plus importante que les éléments eux-mêmes et que le tout est plus que la somme des parties. Ainsi, on comprend aisément que trop catégoriser les choses va à l’encontre de l’interaction nécessaire entre les éléments.
La permaculture prend le modèle de la forêt et le fonctionnement de la nature et de ses écosystèmes. Appliqué à la ville, à l’urbanisme, au paysage le modèle de la forêt donnerait comme grands principes que toutes les ressources soient réutilisées en interne, selon un cycle fermé duquel chaque énergie prélevée est replacée dans l’environnement, ainsi qu’une non accumulation des déchets car réutilisés pour autre chose. Ces deux principes renvoient également à la notion de proximité et donc d’une échelle maîtrisable, appréhendable par l’homme.
Pour conclure
Le paysage « permaculturé » pourrait être vu comme une base philosophique sur laquelle pourrait s’appuyer l’établissement de nos conditions de vies. Conditions qui tiendraient compte de celles préexistantes dans la nature et qui ne feraient que s’y adjoindre sans les entraver. Un retour à des conditions de vies à des échelles de temps et d’espaces plus humaines. Humaines pour comprendre ce que l’on fait, comment on le fait, pourquoi on le fait et être capable de le transmettre à son prochain.
Merci à Oriane d’avoir nourri nos réflexions.