
En tant que professionnels exerçant principalement dans le milieu rural, nous sommes très régulièrement confrontés aux problématiques agricoles actuelles :
- Changement structurel avec le développement des grandes cultures céréalières à la place de l’élevage ou du maraîchage
- Changement d’économie avec des exploitations de plus en plus grosses
- Développement continue de la mécanisation.
- Poursuite constante de l’urbanisation de bonnes terres
- Avancée de la forêt au détriment des terres agricoles renforcée par le classement systématique en EBC
- Interdiction de construire de nouveaux sièges d’exploitation dans certains secteurs classés ou hors pastillage
- Protection inadaptée des éléments bâtis ou paysagers
- Parcelles enclavées….
Toutes ces évolutions ont des répercussions sur le paysage agricole avec une tendance à la banalisation de ces paysages par la suppression d’un certain nombre d’éléments paysagers qu’ils soient naturels (haies, arbres isolés, fossés, mares…) ou bâtis (maisons, granges, murs).
Dans les territoires pleinement ruraux, ceux situés loin des villes, l’agriculture reste maîtresse chez elle, comme en atteste encore le nombre de maires agriculteurs (1% de la population mais 13,7% des maires en France). En revanche, dans les territoires péri-urbains, de nouvelles relations émergent entre les institutions, les communes, les habitants et le monde agricole. Avec le développement toujours plus important des villes et de leurs fonctions métropolitaines, conjuguée avec les nouvelles aspirations des habitants, c’est une nouvelle relation à créer entre des publics qui se regardent, s’observent, sans savoir toujours s’apprivoiser mutuellement. Les conflits d’usage apparaissent ainsi de plus en plus fréquents entre des habitants aux modes de vie urbains, et les paysans. Le bruit, l’odeur, les traitements, l’utilisation de chemins, la circulation, sont autant d’occasion de confrontations entre les habitants et les paysans.
En parallèle de ces phénomènes, on assiste à une évolution des modes de vie des habitants, plus soucieux de la qualité de leur alimentation notamment, et qui cherchent à retrouver un lien avec le monde agricole. Ce mouvement s’exprime notamment dans les AMAP, les ventes à la ferme ou les magasins de producteurs qui fonctionnent bien et offrent de nouvelles perspectives aux agriculteurs « de proximité ». Dans le prolongement de ces réflexions, les élus s’intéressent également de plus en plus au sujet.
Ainsi, l’agriculture, jusqu’ici très discrète dans le cadre des politiques urbaines, devient un enjeu fort pour les communes. Aujourd’hui, les Plan Locaux d’Urbanisme sont les documents qui fondent les principes des politiques des communes, ils sont à la fois des outils de diagnostic, de prospective, réglementaires, et opérationnels. Ainsi, à l’échelle des communes, il est nécessaire de mieux prendre en compte la question de l’agriculture dans ces documents d’urbanisme, pour développer de nouveaux rapports, plus inclusifs, entre agriculteurs, communes et habitants.
Le diagnostic du PLU
Sur le fond, le diagnostic du PLU est l’occasion de faire un état des lieux, afin de déterminer les enjeux de la commune. Dans la majorité des PLU, les espaces agricoles sont simplement cartographiés avec les différentes exploitations. Un travail plus fin est nécessaire pour mieux connaître la réalité du monde agricole. Pour cela, il est nécessaire de rencontrer les paysans, de manière individuelle ou en groupe. Dans un souci d’économie de temps, un questionnaire peut être envoyé aux agriculteurs. Il s’agira de mieux connaître :
- Leur exploitation, la taille des parcelles et leur localisation.
- Le profil du ou des exploitant(s) : âge (pour anticiper les reprises), statut (fermage ou propriétaire), engagement syndical et associatif.
- Les liens des exploitations entre elles.
- Les produits et leurs débouchés. Marchés locaux ou agriculture d’exportation ?
- Les équipements (stockage, transformation) existants
- Les trajets utilisés et la taille des engins
- Les différentes temporalités des travaux aux champs : traitement, utilisation d’engins, récoltes, etc…
- Leurs besoins et leurs perspectives d’évolution.
Tous ces éléments permettront de se faire une idée beaucoup plus précise de la réalité des exploitants et de leurs usages du territoire.
En complément de ce travail d’enquête, d’autres éléments peuvent être analysés:
- Un recensement des frichs avec une explication sur les causes de l’enfrichement (pollution du sol, qualité agronomique faible, pas de reprise de l’exploitation, etc.) .
- La qualité et la diversité des filières (abattoirs, unités de transformation points de vente)
- Les relations avec les autres communes proches afin éventuellement de mutualiser certains outils ou certaines démarches.
Sur la forme, le diagnostic doit constituer le point de départ d’un travail de concertation permettant de créer une véritable culture commune autour de l’agriculture. Ces temps d’échanges, qu’ils soient formels ou informels permettent de faire tomber des barrières très souvent liées aux postures de base des uns et des autres. Par ailleurs, si le public agricole constitue un public pas toujours rompu aux réunions et au travail collectif, il est très important d’avoir au minimum un ou deux moments d’échanges collectifs, afin que chacun puisse mieux connaître les autres acteurs du monde agricoles, ses contraintes et sa façon de travailler. Les échanges avec les habitants doivent également permettre de cerner leurs éventuelles attentes sur le sujet.
L’objectif de tout ce travail est de produire un diagnostic au plus proche de la réalité, et qui soit partagé par l’ensemble des acteurs agricoles. Le diagnostic se conclut par la définition des enjeux qui intègreront bien entendu les problématiques liées à l’agriculture.
Le Projet d’Aménagement et de Développement Durable
Une fois les enjeux exprimés, il est temps d’élaborer le projet communal à l’horizon 10 – 15 ans, en intégrant l’agriculture comme partie intégrante du projet. Le PADD a trop souvent tendance à se focaliser sur l’évolution strictement urbaine et le développement de l’urbanisation, considérant les zones agricoles comme des zones blanches, qui ont vocation à être bâties. Les agriculteurs sont parfois responsables de ces politiques en cherchant à rendre constructibles leurs terrains par tous les moyens.
Ainsi, dans un premier temps, deux principes doivent être exprimés.
Le premier réside dans l’incitation à la densification. Le temps de l’étalement urbain et de la consommation des terres agricoles pour l’urbanisation est fini. Mais la densification a toutefois ses limites, on ne peut entasser les gens les uns sur les autres sans impact sur le cadre de vie. De même certaines communes n’ont quasiment aucune opportunité foncière dans leurs centres agglomérés. Un travail subtil doit être réalisé pour déterminer les opportunités réelles de densification. Les communes doivent également lutter contre la vacance et encourager les réhabilitations des centres anciens, à la fois dans une logique de densification mais aussi pour maintenir (et parfois sauver) le patrimoine bâti ordinaire incarné par les maisons de bourg, et in fine, la vie des petites villes et des villages. Il s’agit d’un enjeu politique très important et qui devient urgent à l’heure où de plus en plus de communes perdent leurs commerces, et leur dynamisme, au profit des zones d’activités.
Le second principe réside dans la préservation de toutes les surfaces agricoles et de leur diversité. Un projet d’ouverture à l’urbanisation doit se faire en fonction de multiples critères : desserte, lien avec le bâti existant, présence d’équipements, etc. Si nous comprenons le besoin de développement des communes, il ne doit pas se faire uniquement selon les opportunités de friches agricoles qui existent. Bien sûr, certaines terres sont moins favorables que d’autres et n’ont pas le même potentiel agronomique. Mais avant de les ouvrir à l’urbanisation, il est important de faire des démarches auprès des autres agriculteurs de la commune, voire auprès de paysans à la recherche de terre pour voir si une valorisation agricole n’est pas possible. Tous les types d’agriculture n’ont pas les mêmes besoins et certaines terres non rentables pour certains, peuvent s’avérer précieuses pour d’autres.
Au-delà de ces deux principes, l’agriculture peut être déclinée à travers d’autres thématiques :
- Le paysage bien sûr avec la préservation des structures et éléments paysagers hérités des systèmes agro-sylvo-pastoraux anciens et qui forment l’identité du paysage local.
- L’économie en intégrant notamment la question des circuits-courts et les besoins des agriculteurs pour répondre à la demande locale.
- Les déplacements en travaillant avec les agriculteurs sur l’entretien des chemins et les éventuels conflits d’usage. Des conventions peuvent d’ailleurs être mises en place avec les paysans pour entretenir les chemins communaux.
- L’environnement à travers le respect des bonnes pratiques, la diminution des pollutions d’origine agricole, ou encore la lutte contre les ruissellements.
Le règlement
Le règlement du PLU a pour vocation de transcrire les orientations du PADD et est opposable aux tiers.
Les zones N (Naturelles et Forestières) et A (Agricole) sont les deux zones particulièrement liées à l’activité agricole. Au niveau de l’occupation du sol, la distinction est assez facile, les terres agricoles sont classées en A, tandis que les espaces naturels non agricoles sont classés en N.
La distinction entre les deux types de zones est principalement liée aux règles entourant le bâti. En zone A comme en zone N, les constructions sont interdites en dehors des constructions liées à l’activité agricole ou forestière et des équipements publics dès lors qu’ils n’entravent pas ses activités. En revanche, la règle entourant le changement de destination des bâtiments n’est pas la même.
- En zone N, c’est le règlement du PLU qui autorise les constructions ou pas. Ainsi, il est possible d’exclure les constructions agricoles du changement de destination y compris les constructions d’intérêt patrimonial. De même, il est possible d’autoriser les changements de destination car en zone N, les destinations non agricoles peuvent être autorisées.
- En zone A, c’est l’article L-123-3-1 du code de l’urbanisme qui s’applique. Autrement dit, les changements de destination des bâtiments sont autorisés uniquement sur les bâtiments qui en raison de leur intérêt architectural ou patrimonial peuvent faire l’objet d’un changement de destination.
En conséquence, une étude fine doit être faite lors de la phase de diagnostic pour déterminer d’une part les besoins et éventuels projets des agriculteurs en lien avec le bâti de leur exploitation, et d’autre part l’intérêt architectural ou patrimonial de ces bâtiments. L’objectif étant de mettre en place une réglementation qui permette à la fois de maintenir les éléments patrimoniaux identitaires, tout en permettant l’évolution du bâti agricole en lien avec les changements de pratiques.
Il existe également d’autres outils règlementaires du PLU qui peuvent trouver un lien avec l’agriculture :
- L’instauration d’emplacements réservés. Peut notamment être utile pour créer ou élargir un point de passage pour les engins agricoles, ou encore pour créer ou reconquérir des chemins ruraux.
- Le classement en Espaces Boisés Classés. Il s’agit d’un classement avec lequel il faut prendre des précautions. En effet, certaines communes, dès lors qu’elles voient quelques arbres sont tentées de classer des espaces en EBC. Si l’intention est louable, elle pose question sur la durée. En effet, certaines terres peuvent s’enfricher et atteindre assez rapidement un aspect forestier. Cela peut poser problème si la vocation du terrain reste potentiellement agricole car les démarches pour reprendre une activité agricole dessus vont être longues et couteuses car elles nécessitent une révision du PLU pour déclasser un EBC.
- L’article L. 123-1-5, 7° du code de l’urbanisme prévoit que le PLU peut « identifier et localiser les éléments de paysage et délimiter les quartiers, îlots, immeubles, espaces publics, monuments, sites et secteurs à protéger, à mettre en valeur ou à requalifier pour des motifs d’ordre culturel, historique ou écologique et définir, le cas échéant, les prescriptions de nature à assurer leur protection ». Cet article est intéressant car il permet de préserver des éléments du paysage liés à l’agriculture. Il peut s’agir d’éléments naturels (arbres isolés, vergers, haies, fossés, etc.) ou bâti (grange, fermes, puits, etc.).
Les Orientations d’Aménagement et de Programmation
Les OAP sont des orientations portant soit sur des secteurs précis (Ex : le futur lotissement imaginé dans la zone AU) ayant vocation à être aménagés, soit sur des thématiques transversales à l’échelle de la commune (ex : traitement des lisières, clôtures).
Les OAP, aujourd’hui principalement utilisées dans le cadre d’ouverture de secteur à l’urbanisation, constituent un moyen de protéger un certain nombre d’éléments du patrimoine agricole. Par exemple, une commune autrefois couverte de verger mais à l’activité arboricole actuelle peu dynamique, comporte encore de nombreuses traces de vergers anciens sur des parcelles dont la vocation est de s’ouvrir à l’urbanisation. L’OAP peut proposer des orientations d’aménagement qui permettent le maintien de ces éléments patrimoniaux. Ça peut également être le cas pour des jardins potagers / ouvriers / familiaux. Il ne s’agit alors pas de l’activité agricole au sens professionnel, mais de continuer à vivre l’agriculture urbaine sous des formes différentes. A l’heure du retour et du développement des jardins familiaux dans les communes françaises, les OAP peuvent permettre d’accompagner cette évolution.
Conclusion
Pour conclure, le PLU est un moyen d’affirmer un certain nombre de principes sur la place que l’on souhaite donner à l’agriculture. Pour toutes les communes qui disposent d’exploitations agricoles, l’élaboration d’un PLU est l’occasion d’entamer un véritable travail de fond avec les agriculteurs. Avec les changements de pratiques des consommateurs qui recherchent de plus en plus de produits locaux, l’agriculture constitue un enjeu fort que ce soit en termes de paysage, d’économie, d’environnement et même de santé publique.